Ankadilalana

Ankadilalana, c’est le nom du quartier où nous sommes installés, juste en face du jardin botanique de Tsimbazaza, au flanc d’une des collines escarpées de Tana.

Pas question de course à pied ou de vélo ici, la pente est trop importante pour arriver à la maison. Les courses en taxis suffisent à nous contenter. Une 2CV rugissante qui monte, zigzagant entre les trous, une 4L qui descend en roue libre, c’est un peu mon quotidien.

J’apprécie de marcher, jusqu’au marché, côté tsimbazaza, jusqu’à l’école côté Amparibé. Les trottoirs sont irréguliers, quelquefois dangereux. Les boutiques se ressemblent toutes, plus ou moins précaires. Entre les rues pavées, il y a des ruelles étroites, qui ne sont parfois qu’un escalier, qui permettent des raccourcis. Elles sont aussi bordées de margottes, d’ateliers, de boutiques.

J’aime bien y flâner, même si j’ai appris qu’à l’entrée, le panneau écrit en malgache conseille paraît-il d’être prudent. Il a suffit l’autre jour que je croise une occidentale dans la rue pour réaliser que je vivais depuis trois semaines entouré de malgaches.

Aujourd’hui, il fait chaud, le vent souffle en rafales violentes, soulève la poussière. L’hiver semble terminé.

Le passage de la ligne

Voici donc un nouveau départ vers l’ailleurs.

Première étape, l’arrivée, précédée par un vol éprouvant, Anne-Marie coincée contre un ancien truand marseillais dépassant le quintal et demi, drapé dans un survêtement de l’OM. De mon côté, je me suis battu une partie de la nuit pour l’accoudoir avec un malgache mutique, notre conversation s’étant limitée à tchin-tchin, quand nous avons levé nos verres de Red Label, au moment du repas. Lui a regardé toute la nuit des films sous-titrés. Il n’avait pas d’écouteurs.

Descendus de l’avion, les passagers sont rangés sur trois files, la notre étant celle de l’ambassade. Après avoir bien pris le soleil sur le tarmac, direction la prise de température automatique. Pour Anne-Marie, l’appareil n’a pas pu fonctionner, elle est mise de côté. Ensuite passage dans un sas de décontamination intelligent. C’est écrit sur la porte.

Je fais la queue aux passeports, où Anne-Marie finit par me rejoindre sans qu’elle ne soit passée par le sas de décontamination. Le fonctionnaire détache les différents volets du document que nous avons rempli, il y en a quatre, et nous en rend un. Passage dans un tout petit salon où doit se dérouler le test PCR. Pas plus de trois en principe, mais on est six, plus le médecin et trois infirmières. Les autres attendent dehors.

A un moment le médecin sort, il n’a plus de test. Il revient avec quatre militaires bien décidés à faire accélérer les choses, remplissant les formulaires, mais la barrière de la langue n’aide pas. On veut me faire remplir un deuxième formulaire alors que je suis en train de me faire grattouiller le nez par le médecin. Il n’a pas cherché loin et n’a testé qu’une narine. Ça chatouille le nez. C’est au tour d’Anne-Marie, qui doit répondre à l’appel de son nom alors que le médecin lui triture le nez. Maintenant, elle tient l’écouvillon que lui a remis le médecin après le test et se demande bien qu’en faire. Une infirmière l’en débarrasse.

On sort, laissant dans le salon une pile de feuilles sur la table et un carton plein de petits sachets. Bon courage à celui qui fera le tri. Passage au visa et tampon rouge. Important le tampon. On récupère les bagages, on sort en file indienne, les bagages sont à nouveau désinfectés, puis jetés sur les toits des bus qui nous attendent. Il y a des gendarmes partout, le périmètre est sécurisé.

On partira en convoi jusqu’à l’hôtel, où nous resterons confinés. On pourrait être dans n’importe quelle ville de France, sauf qu’on y mange bien et que la vue est déroutante. Une lampe ne marchant pas, on nous a envoyé un cosmonaute pour la changer.

Pas question ici d’apéro dans les chambres ni de discussions dans les couloirs. J’ai le temps d’écrire, alors j’en profite. A côté, Anne-Marie fait du Yoga dans les rayons du soleil couchant.

Une photo

J’aime les photos qui racontent une histoire. Celle-ci est très bavarde.

Au premier regard, c’est une photo insouciante, bucolique, pique-nique à la campagne, peut-être le Massif Central. C’est une photo datée, noir et blanc, costumes, voiture. Insouciant, ce personnage qui s’amuse avec un chapeau.

Le dos de la photo raconte une autre histoire : Août 40, retour tant attendu de Casablanca. Étrange cette insouciance après la débâcle, et cette attente inquiète. C’est l’écriture de ma grand-mère.

Mais ces bouts d’histoire croisent une autre racontée ici. Le départ de mon père de Belle-ile, en juin 40, sur un bateau qui devait rejoindre Bordeaux mais qui finira à Casablanca. Je savais qu’il en était revenu, et j’ai maintenant la date de son retour. Août 40.

Le personnage qui joue avec le chapeau, c’est mon père, il a dix-sept ans. L’histoire de ce voyage est presque complète.

En croisant une autre source, j’ai le détail de ce voyage retour. En train de Fès à Oran. En bateau jusqu’à Marseille, sur le « Lamoricière » et puis un parcours en voiture, avec deux autres couples.


Étrange de penser qu’en août 40, on pouvait encore voyager, faire du tourisme, être en vacances, en pleine déroute.

L’athlète

Pour une fois, je publie une horreur.

Enfant, cette statuette d’athlète m’a toujours fasciné. Elle était dans la bibliothèque de mon grand-père. Il me disait l’avoir volée sur le bureau d’Hitler, à Berchtesgaden, son nid d’aigle, comme on disait alors. C’est le 4 mai 1945, vers 16h, que des éléments avancés de la 2e division blindée du général Leclerc s’emparèrent de l’Obersalzberg. Mon grand-père en  faisait partie.

Je me suis toujours demandé ce qu’elle fichait là, cette horreur. Et ce que mon grand-père lui avait trouvé comme valeur. Prise de guerre, certes. Rapine facile à ranger dans une poche. Mais pourquoi?

Quand mes grands-parents sont décédés, j’étais loin, très loin. Je ne suis pas revenu pour leurs obsèques, ni pour ranger leur maison. Quand mes cousines m’ont demandé si je voulais garder un souvenir de mon grand-père, c’est à cette statuette que j’ai pensé.

Aujourd’hui, j’ai trouvé, sur Internet, la réponse à mes questions. C’est une statuette en bronze, qui fut produite en quelques exemplaires, à l’occasion des Jeux Olympiques d’été de Berlin, en 1936.

Ceci-dit, elle n’en est pas moins laide. Et je n’en suis pas plus riche.

C’est fini !

C’est ma dernière séance aujourd’hui.

Pas que j’ai envie d’y retourner.
Juste histoire de dire merci à Nora, à Stella, à Solène et aux autres… Je ne les ai pas applaudies mais je ne les oublierai pas.

Pas plus que le CHU, le « chu » comme ils disent ici. Véritable ville dans la ville, avec ses blocs, ses rues, ses parkings.
Il m’aura fallu quelques cures pour m’y retrouver.

Et puis je dirai aussi au revoir à ceux qui seront là, les jeunes, tout jeunes quelquefois, les vieux, comme moi, les très vieux et les moins vieux. Les hommes, les femmes, tous mélangés. Celles qui ont le regard incrédule, ceux qui ont le regard fatigué. Celui-là qui est en chimio depuis 2016, cette autre à qui on propose un protocole expérimental, parce que deux rechutes déjà. Et ce vieillard, qui dort chaque fois que je le croise, bonnet marin sur le crâne, sa belle cossue près de lui. Trop jeune pour être sa fille, trop décorée d’or…

Tout un monde dans une bulle, fermée aux autres, même à ceux qui savent, un monde qui ne se dit guère.

Ce soir, je vais encore délirer, me traîner jusqu’au lit. Demain je me battrai encore avec moi pour bouger, pour ne pas m’enfoncer. Et puis les poils, les ongles, les cheveux repousseront. Les muscles peut-être aussi…

Le ministre et le canapé

Je sais que ça n’est pas le lieu, mais j’ai une petite histoire à raconter…
Dimanche matin, je prends le sac à déchets recyclables pour déposer mes cartonnettes et autres plastics dans leur bac collectif.

Malheureusement l’incivilité a encore frappée. Il déborde de partout, et en plus, un vieux canapé pourri a été déposé devant. Et une baignoire à bébé fendue également. Retour à la maison, on essaiera une autre fois.

Ce matin, c’est chimio, je me lève tôt. Deux cars de CRS sont garés devant les bacs, en train de rassembler les déchets, de fouiller les sacs. Oups! La mairie ne rigole pas ici. Deux cars de CRS pour un canapé en vrac. Ça risque de chauffer pour ceux qui ont laissé ça.

Je quitte la maison, ils sont toujours là, je passe devant le bureau de police voisin pour rejoindre l’arrêt de bus. Je vais à la chimio en bus et en métro, j’en reviens en vrac, moi aussi. La presse est là, photographes, caméra de France3 Rennes… Tout ça pour un vieux canapé qui traîne?

Arrivé au bout de la rue, des cars de CRS sont planqués, des motos aussi. Ça discute à l’arrêt de bus. Et la réponse arrive. Ça n’est pas le canapé, ni même la baignoire à bébé. Encore moins le dépôt d’ordures sauvage. C’est juste le ministre de l’Intérieur qui vient visiter un petit commissariat de quartier.

Je vous dirai ce soir si le canapé est toujours là. Et la baignoire…

Délires d’après chimio

Chimio, métro, dodo…

Positivons… La chimio lutte très efficacement contre les cheveux blancs.

Sois fort… Bats-toi…
Euh… contre qui?
Le cancer c’est moi. Je ne vais quand même pas me flanquer une trempe!

La nuit, je dors. Je saucissonne,
J’la coupe en tranches de  deux heures.
La nuit remontent
des souvenirs des temps heureux,
des  cauchemars d’enfant tout  frais
La nuit  je  dors…

La pluie qui vient

Orage qui vient

Début juin. Il fait chaud, sans plus. Les températures sont agréables. Pas comme l’année dernière où le thermomètre avait flirté avec les cinquante degrés. L’air brûlait les paupières.

La nuit, je dors. La fenêtre est ouverte, le brasseur d’air rafraîchit le corps. La rue est calme, malgré le Ramadan. Quelquefois un chien aboie. Anne-Marie dort paisiblement.

Cette nuit, dans un demi-sommeil, j’ai entendu un bruit sourd, persistant. Une sorte de grondement. Un orage. La pluie qui frappe le sol. Non. Éveillé, je reconnais le bruit d’une carriole, sans doute un chiffonier matinal.

Et de me rappeler ces moments d’avant la pluie. Le silence de l’air immobile. Les odeurs de terre qui s’exhalent. Et la première goutte qui tombe. Lourde. Suivie d’une autre, et d’une autre. Un grondement sourd quelquefois les accompagne. Et puis c’est l’averse brutale, les bourrasques, les éclairs, le tonnerre, la folie d’un orage.

Deux ans d’Égypte. Deux ans sans pluie. Deux ans de soleil, de poussière, de vent. Curieux, ce souvenir qui m’envahit brusquement. Et puis je me rendors.

 

Sha’ab Samadai

Sha’ab Samadai, c’est le nom d’un récif corallien en forme de fer à cheval qui affleure, au large de la côte égyptienne. La Mer Rouge est ici plutôt rude, bleu profond ou gris acier lorsque le ciel blanchit. Le vent souffle souvent violemment à cette période de l’année.

Samadai

Ce récif a dû être en d’autre temps un danger pour les navires qui remontaient vers le nord ou se dirigeaient vers le Soudan. C’est aujourd’hui un refuge pour les plongeurs mais surtout pour les dauphins. La partie nord du lagon est interdite à la navigation et on peut y nager en compagnie des dauphins. Et si pas de dauphin, on aura toujours les coraux et les poissons, les tortues et les requins.

Face au vent

Le retour vers le port sera rude, face au vent, mais égayé par un groupe de dauphins venus jouer avec notre bateau.

L’accès au site est géré par l’association HEPCA, qui a installé le balisage et contingente le nombre de plongeurs, pour assurer la tranquillité des dauphins. Le financement de cette association est original, puisqu’elle tient ses revenus du recyclage des déchets de la ville d’Hurghada comme des redevances qu’elle fait payer aux plongeurs.

El gola’an

Toujours sur la Mer Rouge, au sud de Marsa Alam, non loin du Cap Banas, voilà encore un site géré par l’association HEPCA. C’est une plage magnifique, un espace où s’arrêtent de nombreux oiseaux, bordé d’un récif corallien, mais aussi d’une mangrove.

sur la plage

L’association assure la protection du site. Pour cela elle en aménage l’accès, organise le cheminement et implique la population locale. C’est une tribu bédouine du sud, les Ababda, dont elle améliore l’habitat, maison de bois, mais aussi panneaux photovoltaïques et accès à l’eau.

village el gola'an

En échange, les bédouins assurent la nourriture des volontaires qui reconstruisent leur village et profitent du passage des touristes pour vendre leur artisanat. Ils tiennent également un restaurant qui les régale de poissons et de langoustes grillés.

vendeuse de bracelets ethniques

La redevance payée par les visiteurs va permettre de financer l’opération, le bois des constructions provenant du recyclage d’échafaudages récupérés sur des chantiers cairotes.

paletuvier

La plage a un petit côté paradisiaque…