Le mois d’août 72

Nel mezzo del cammin di nostra vita…

Non, je n’aurai pas la prétention d’écrire cela, d’abord par respect pour la langue du grand Dante, qui a inventé l’italien en 1300 et quelques. Et puis, un simple calcul mathématique me le rappelle, j’ai bien avancé sur le chemin de la vie et largement dépassé la moitié de mon chemin. Je me projette toujours vers l’avant, mais il m’arrive de regarder en arrière.

En ce moment, j’écoute la balade du mois d’août 75. Le récit d’un été dessiné à petites touches, une succession de moments minuscules, une période de plénitude mais aussi de rupture. Si j’avais écrit ma balade, ça aurait été celle du mois d’aout 73.

C’était la campagne, pas très loin de la plage, il faisait bon et les criquets chantaient. On parlait sous les étoiles , les dalles étaient chaudes. Il y avait un garçon qui se croyait poète, une guitare qui trainait, et des filles qui riaient. On parlait de rien d’autre que de nous, du monde qui nous attendait. Il y avait cette maison blanche, et les oliviers alentours. On avait un rolleiflex, on a fait des photos dans les restanques, à la tombée de la nuit. Nous étions insouciants.

On n’a pas su s’en servir de cette caméra, et de photos, il ne reste que des souvenirs…

Il faudrait que je me souvienne

Il y a trois ans, marcher dix minutes était une souffrance…

Il faudrait que je me souvienne, tous les symptômes étaient présents, fatigue, perte de poids, perte d’équilibre, suées nocturnes, toux. Je n’en savais rien, mais ce regard de K. qui m’a croisé a l’aéroport, ce calvaire d’un voyage en voiture jusqu’à Rennes…

Il faudrait que je me souvienne, les soignants. L’hématologue que j’ai cru timide. Il tournait autour du mot, mais quand il l’a prononcé, c’était pour en ajouter d’étranges, agressif, stade quatre, traitement, chance… Il y a eu d’autres soignants, attentionnés, j’ai oublié leurs noms, sauf Stella, un médecin, et Nora, une infirmière.

Il faudrait que je me souvienne des malades, ceux qui étaient perdus, ceux qui étaient là depuis des années, des hommes, des femmes, un adolescent, des vieillards, les habitués, les novices. Sorti de soin, aller vomir, me vider les intestins, et puis délirer, dormir…

Il faudrait que je me souvienne des amies, toutes celles qui m’ont soutenu, porté pendant ces mois de chimiothérapie. Celles que j’ai vues comme celles qui sont restées en retrait. Et puis les autres, celle qui s’est crue directrice à ma place, celle qui a dit On ne le reverra plus

Trois ans ont passé. Les effets de la chimiothérapie ont été terribles. Aujourd’hui encore, j’en perçois des réminiscences, comme des lambeaux de brume accrochés à une colline. Moins qu’hier heureusement.

Tout à l’heure, j’ai couru une petite heure, neuf kilomètres. Du temps qu’il nous reste, il ne faut pas en perdre un instant.

Myope !

Être myope, c’était une bénédiction.

Je me rappelle le printemps 1968. Nous étions sur le sable, certains jouaient au ballon dans l’eau. C’était à L’Aygade. Je me souviens de ma peau bronzée, des cristaux de sel, des grains dorés qui scintillaient. Le sable chargé en mica descendait alors des Maures. Ce n’était pas encore ce sable grisâtre arrivé en camions.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Elle aimait m’arracher les lambeaux de peau morte dans le dos, tout doucement. Nous parlions de choses et d’autre, de livres ou de musique. J’ai oublié son nom. Nous étions insouciants. Les autres jouaient au ballon, à quelques mètres, les pieds dans l’eau. ils étaient flous, nous étions seuls.

Aujourd’hui, je ne porte plus de lunettes, mais j’ai perdu la précision de mon regard.

La pluie qui vient

Orage qui vient

Début juin. Il fait chaud, sans plus. Les températures sont agréables. Pas comme l’année dernière où le thermomètre avait flirté avec les cinquante degrés. L’air brûlait les paupières.

La nuit, je dors. La fenêtre est ouverte, le brasseur d’air rafraîchit le corps. La rue est calme, malgré le Ramadan. Quelquefois un chien aboie. Anne-Marie dort paisiblement.

Cette nuit, dans un demi-sommeil, j’ai entendu un bruit sourd, persistant. Une sorte de grondement. Un orage. La pluie qui frappe le sol. Non. Éveillé, je reconnais le bruit d’une carriole, sans doute un chiffonier matinal.

Et de me rappeler ces moments d’avant la pluie. Le silence de l’air immobile. Les odeurs de terre qui s’exhalent. Et la première goutte qui tombe. Lourde. Suivie d’une autre, et d’une autre. Un grondement sourd quelquefois les accompagne. Et puis c’est l’averse brutale, les bourrasques, les éclairs, le tonnerre, la folie d’un orage.

Deux ans d’Égypte. Deux ans sans pluie. Deux ans de soleil, de poussière, de vent. Curieux, ce souvenir qui m’envahit brusquement. Et puis je me rendors.

 

Jeudi matin

mistral
Sifflements, craquements,
la maison gémit ce matin.
Le Mistral cogne aux volets,
s’invite dans mon rêve.
Des pignes, des bûches,
un feu brouillon dans la cheminée.
Ça ronfle sec, claque, éclate.
Ça chauffe.
De la radio sourd une mélopée étrange.
Odeur de pain grillé mêlée de fumée.

Sourire

mystere-apophatique-41a08

Je vis.
Elle, elle est heureuse,
elle ne le sait pas.
Quelquefois elle s’inquiète
D’être seule encore
mais elle est heureuse.
Moi je la regarde et je souris.

Parfois m’effleure une présence,
silencieuse.
Je me retourne,
ne voit qu’une absence.
Alors, m’embrasse
ce voile de solitude,
Ce noeud glacé au fond de moi.

Je la regarde et je souris.
Je vis.

Le mimosa

image_numerisee-3-d465d
J’aimais retrouver mon reflet dans tes yeux,
ces après-midis tendresse,
l’accueil du mimosa à ta porte.

Le train du mardi

train

C’est le blues du mardi,
le blues du train qui part.
Siffle le chef de gare.
Juste le bisou qui dit
un coucou sans joie.

Une histoire vraie

Je rentrais du bord de mer ce jeudi-là, d’avoir promené Nina, passant par l’avenue qui traverse Boulouris. Boulouris, c’est des un quartiers de Saint-Raphaël. Enfin quartier… plutôt une accumulation de villas, de petits imeubles, d’impasses et de lotissements, le tout sans guère d’organisation urbaine. Les piétons sont rares, sur cet axe qui relie la gare de Boulouris au centre ville. Ici, pas de bus, ni de piste cyclable, on ne se transporte qu’en voiture.

Cette silhouette hésitante, qui marchait appuyée sur une canne, sur ce trottoir habituellement désert, a attiré mon regard. Sa capeline, son regard triste, l’homme qui l’attendait, impatient, je ne l’ai pas reconnue, ma vision est bien trop floue maintenant.

Mais je n’ai pu m’empêcher de penser à cette histoire qui s’est écrite toute seule. C’est une histoire vraie. Enfin, si les mots veulent bien dire la vérité. Ce sont mes mots, et mes mots mentent volontiers. C’est mon histoire, peut-être pas la sienne. Les mots, posés sur la réalité, racontent toujours une fiction. J’ai voulu que les mots, les dessins se répondent même s’ils sont nés sans savoir que je les utiliserai ailleurs. Ces mots, ces dessins, je les ai éparpillés sur ce site, au hasard de mes lectures.

c-est-y-pas-vrai-9719d

C’est une histoire vraie, ou peut-être un rêve, mais c’est mon histoire. Une histoire qui vient de mon passé. Bien sûr, Elle, Elle a son histoire. Peut-être un jour croisera-t-elle ces pages, au hasard de ses errances sur internet. Elle écrira alors un commentaire. Juste “Je t’ai lu”. Ou alors Elle pleurera. Je ne sais pas.

Je n’ai jamais su.

Rupture

couple-14d89

Et puis,
tu vois,
mot après mot
s’invite le doute.
Alors,
les mots se font briques.
Un soir
s’élève un mur sévère
où tu ne peux
qu’afficher ta douleur.