De Carantec à l’Aberwrac’h par le Détroit de Magellan, le Pacifique, l’Océan Indien et l’Atlantique 1936-1938

Cet article est extrait du site “Histoire maritime de Bretagne Nord”

Le 20 juillet 1939, Louis Bernicot est interviewé par le journaliste Charles Léger de la Dépêche de Brest  à bord d’Anahita le long de la cale de l’Aberwrac’h
Le 20 juillet 1939, Louis Bernicot est interviewé par le journaliste Charles Léger de la Dépêche de Brest à bord d’Anahita le long de la cale de l’Aberwrac’h 

Simplement, sans bruit, comme il était parti de Carantec le 22 aout 1936, le côtre l’Anahita  est arrivé avant-hier à l’Aberwrac’h. Entre-temps son propriétaire, le capitaine au long-cours Louis Bernicot, le manœuvrant seul, lui a fait franchir l’Atlantique, le Pacifique et l’Océan Indien.

Le voici sagement amarré au long de la cale. Les compatriotes du capitaine originaire de l’Aberwrac’h, s’étaient juré de lui faire fête dès sa venue au pays. mais cela ne cadre guère avec sa modestie. et hier soir, seuls, le feu de la tour carrée de Lanvaon et les grands bras éblouissants du phare de l’île Vierge illuminaient la haute mâture de l’Anahita. C’était mieux ainsi au gré de M. Louis Bernicot  qui avait eu le temps de serrer les mains chaleureuses de ses anciens amis.

Finement mais robustement construit, le cotre a une longueur totale de 12m 50, une largeur de 3 m 40, un tirant d’eau maximum de 1m 70 ; gréé en marconi, il a65 mètres carrés de surface de voilure. la marée basse le présente comme une véritable coquille de noix. Et l’on s’effare en songeant que c’est là-dessus qu’un homme a accompli le tour du monde sans vouloir éviter les passages les plus redoutés des navigateurs.

Voici précisément le capitaine sur le pont, surveillant l’échouage. Rien du colosse, ni par la taille ni par la carrure, mais d’une sveltesse nerveuse et musclée. d’un œil calme mais vif, il nous observe.

Nous nous présentons. sous une moustache soigneusement taillée, un bon sourire nous accueille. les traits volontaires s’éclairent dans un visage hâlé. M. Louis Bernicot veut bien se prêter à l’interview.   

L’Anahita sous voiles, la grand-voile est de bonne surface  (photo Dépêche de Brest)
L’Anahita sous voiles, la grand-voile est de bonne surface (photo Dépêche de Brest) 

L’extraordinaire voyage

A grands traits il nous retrace son périple. Le 22 août 1936 il quitte Carantec pour Madère où il demeure du 6 au 8 septembre, puis fait voile sur Mar Del Plata (Argentine) ; Il y arrive le 12 décembre pour en repartir le 23. C’est bien vainement qu’on avait tenté de le retenir pour les fêtes de Noël. On lui représentait cependant que la mer était mauvaise et pour le convaincre de sa violence en ces parages, on lui fit voir deux navires coulés malgré l’abri d’énormes jetées.

en effet il trouve au large un vent tempétueux, une mer désordonnée, un ciel continuellement sillonné d’éclairs. Il fit route sur le détroit de Magellan où il entre le 16 janvier pour en sortir le 29 après trois jours de mouillage à Ponte Delgada et Trois jours à Punta Arenas.

Ici encore on avait voulu l’émouvoir en lui disant qu’il lui fallait trois semaine pour franchir la deuxième partie du détroit et qu’il avait tout au plus dix chances sur cent de s’en sortir. Trois jours plus tard. L’Anahita entrait dans le Pacifique.

Journées bien dures que les suivantes. il monte vers le nord-ouest, passe en vue de l’île de Pâques  le 17 mars et atteint les Gambiers le 5 avril ; il est grand temps car il manque d’eau. C’est de tous les, le plus joli pays qu’il ait rencontré au cours de son voyage. Il y demeure huit jours.

Le 2 mai le voici à Tahiti où il escale 24 jours. Puis il cingle vers le détroit de Torrès qui sépare la Nouvelle Guinée de l’Australie. Les 4200 milles franchis par les vents alizés régulier il trouve à l’entrée une mer si grosse qu’il lui faut tenir la cape pendant 36 heures.

Etant demeuré trois jours au port pour renouveler ses approvisionnements, il appareille le 15 juillet pour les îles Coco dans l’Océan Indien. Après une très bonne traversée, il y parvient le 7 aout et y demeure jusqu’au 22, anniversaire de son départ de Carantec. Partout on lui fait le meilleur accueil, surtout aux îles.

La traversée de l’Océan Indien est bien pénible, mais le voici à l’île Maurice le 11 septembre. On lui fait fête, on tente de le retenir ; il part le 16 pour arriver le 19 à la Réunion. L’Anahita a besoin d’un carénage ;  il séjournera là dans ce but jusqu’au 20 octobre, ce qui lui permettra d’entreprendre de belle excursions.

Le voici à Durban le 9 novembre après avoir dû tenir la cape pendant deux jours. le 2 décembre il fait route vers le Cap de Bonne Espérance et après une traversée agitée arrive au Cap le 10 décembre. 

Le 4 janvier il remonte la côte occidentale d’Afrique pour arriver à Pointe Noire au Congo le 27 janvier. Il espérait y retrouver un de ses fils, mais celui-ci se trouvait bien trop à l’intérieur.

Quand il repart le 2 mars, il fait le projet  de franchir d’une traite les 7000 milles qui le sépare des côtes françaises mai il doit s’arrêter aux Açores du 8 au 14. Enfin il arrive le 30 au Verdon, il se fait démâter à Bordeaux pour passer sous les ponts de la Dordogne et remonter jusqu’à Bergerac où il désarme.

Le capitaine Bernicot avait en effet, lorsqu’il avait quitté ses fonctions de représentant de la Compagnie Générale Transatlantique aux Etats-Unis, fait acquisition d’un domaine à St-Nexans en Dordogne.

C’est de là qu’il était venu à Carantec demander à M. Eugène Moguérou de lui construire l’Anahita.

–          Bien bon bateau que celui-là ajoute le capitaine ; on l’admira ; on l’admira partout, on m’en demanda les plans ; en somme, excellente propagande pour la construction française.

Anahita au mouillage à Sauzon Belle Ile en 1939, son francs bord est assez généreux, le pont d’Anahita était rarement mouillé, le petit roof vitré reste discret  (Coll Roger Le Berre)
Anahita au mouillage à Sauzon Belle Ile en 1939, son francs bord est assez généreux, le pont d’Anahita était rarement mouillé, le petit roof vitré reste discret (Coll Roger Le Berre) 

Anecdotes

–          De quoi avez-vous le plus souffert au cours de votre voyage ?

Du manque de Pain.

Pouviez-vous vous ravitailler parfois en pêchant ?

Oui, j’ai capturé beaucoup de poisson de toutes sortes, sourtout des thons. J’en ai pris qui pesaient 50 kilos, mais j’éprouvais mille difficultés à les hisser à bord d’autant plus qu’ils se défendaient bien.

A ce propos j’ai pu constater la finesse de l’odorat des requins. Lorsque je dépeçais un thon et que le sang coulait à la mer par les dalots, je voyais aussitôt les squales venir de loin.

J’en ai vu parfois une demi-douzaine rôder autour de mon bateau. Armé de ma carabine. J’en ai tiré à la tête. ils plongeaient, mais je crois n’en avoir tué qu’un seul.

Pendant des jours un requin me suivit. Lassé sans doute d’une poursuite in fructueuse, il vint à plusieurs reprises, à toute vitesse se jeter sur le flanc du bateau pour tenter de le faire chavirer. Les chocs étaient si violents que la bête était teinte par la peinture arrachée. j’ai bien tenté de lui porter un coup de gaffe, mais le fer entama à peine la peau. Enfin il m’abandonna.

J’ai rencontré une fois une famille de cachalots : le père, la mère et leur petit, leur mase m’impressionna et le souvenir des attaques du requin m’incita à les laisser poursuivre leur route.

La personne donnebien  l’échelle du bateau à  l’échouage au port de Sauzon à Belle-ile , de belles formes puissantes tracées par ‘architecte naval Talma Bertrand (photo coll Roger Le Berre)
La personne donnebien l’échelle du bateau à l’échouage au port de Sauzon à Belle-ile , de belles formes puissantes tracées par ‘architecte naval Talma Bertrand (photo coll Roger Le Berre) 

–          Quelle fut la plus pénible partie de votre voyage ?

–          La traversé entre Mer Del Plata et le détroit de Magellan. Une nuit, une vague énorme s’abattit sur le pont avec un fracas assourdissant. je croyais que tout était emporté. le bateau prit une gite inquiétante puis se redressa peu à peu.

–          Il n’était pas prudent de dormir ?

–          je dormais deux ou trois heures par nuit et me reposais de temps en temps le jour, la barre amarrée, les voiles équilibrées.

–          La plus longue traversée fut celle de Madère à Mar del Plata ; elle dura 93 jours. en arrivant au but, je n’avais plus de vivres, il me restait qu’un verre d’eau que j’utilisais pour me raser.

Mon grand regret c’est de ne pas avoir entrepris ce voyage trente ans plus tôt. On en tire de tels enseignements que ma carrière de marin en eût été singulièrement simplifiée.

Mais M. Bernicot est attendu, nous aurions mauvaise grâce d’insister. L’Anahita qui avait quitté Bordeaux il y a huit jours après son hivernage, a relaché à Loctudy. Il va cet été, sans doute entreprendre quelques croisières sur nos côtes, conduit par les mains expertes qui lui ont permis d’accomplir cet exploit.

Charles Léger

Dépêche de Brest du 20 juillet 1939

Louis Bernicot et son Anahita à Sauzon (Coll Roger Le Berre)
Louis Bernicot et son Anahita à Sauzon (Coll Roger Le Berre) 

Commentaires :

Deux bonnes raisons pour publier cet article sur ce site : l’origine de Louis Bernicot et le chantier ayant construit son bateau

Louis Bernicot est natif de l’Aberwrac’h, d’une famille de marins et en particulier de pilotes lamaneurs, je reviendrait  dans un autre article sur un naufrage d’un de ses ancêtres pilote.

Les pilotes de l’Aberwrac’h faisaient souvent construire leur sloups dans les chantiers de Carantec. Il est donc pas surprenant que Louis Bernicot se soit adressé au constructeur Eugène Moguérou pour la construction de son voilier pour faire un tour du monde alors qu’habitant à coté de Bordeaux les chantiers bien réputés sont nombreux  dans la région.

A la lecture du récit de son tour du monde, publié en septembre 1939 à la NRF sous le titre « La croisière de l’Anahita » l’on voit bien que Louis Bernicot est particulièrement satisfait de son bateau.  En particulier de son comportement par gros temps et forte mer. Le bateau se retourne une fois sans dégâts, son capitaine est fait remarquer la pertinence de l’absence de lest intérieur.  Le soucis récurent qu’il ait eu à faire face est une dureté de la barre, la mèche du safran se bloquant dans le tube de jaumière malgré un graissage important. Louis Bernicot fait  modifier, à Tahiti par un charpentier compétent la position du mât, il le fait avancer de 25 cm pour rendre le bateau mois ardent.

Pendant son tour du monde , Louis Bernicot travaille beaucoup sur sa voilure, n’ayant qu’une seule grand-voile, il en fait entièrement une seconde de gros temps de surface un peu plus petite, il fait aussi une autre trinquette, la voile la plus sollicité établie presque par tous les temps. Il fait faire également une autre grand-voile par un voilier de Papeete.

L’Anahita  existe encore, après le décès de Louis Bernicot en 1952, il continue ses navigation  jusqu’en 1980. En 1982 grâce à un don de la ville de Saint-Malo il est racheté par l’association Amerami lié au Musée de la Marine, après un début de restauration du pont, par le chantier Raymond Labbé  à St-Malo il a été stocké dans différents hangars en Normandie. Il est actuellement dans un hangar à Fécamp, sa préservation est incertaine ce hangar devant être libéré. La coque d’Anahita a été proposé au Musée Maritime de Carantec, qui n’a pu, malheureusement  accepter cette proposition faute de moyens financiers et de place pour sa restauration et son exposition.

Anahita à son lancement à Carantec en aout 1936 (Coll chantier Jezequel)
Anahita à son lancement à Carantec en aout 1936 (Coll chantier Jezequel)

Sources et liens :

Chasse-Marée numéro 221 talma Bertrand

Chasse-Marée numéro 209 tour du monde de Bernicot

La croisière de l’Anahita  Louis Bernicot NRF 1939

Site familial des descendants de Louis Bernicot

http://f2gm.free.fr/louisbernicot/page1.html

Site de l’Amerami

http://amerami.org/

Musée Maritime de Carantec

http://www.ville-carantec.com/cpt_equipements/musee-maritime/

site avec quelques photos de Roger le Berre de l’Anahita à Belle Ile en 1939

http://agatzeblues.fr/imagier/index.php?/category/33

l’édition originale de septembre 1939 de la Croisière d’Anahita, je vous recommande la lecture de cet intéressant petit livre
l’édition originale de septembre 1939 de la Croisière d’Anahita, je vous recommande la lecture de cet intéressant petit livre