Catégorie : Des bouts de vie

Deux ans déjà.

La première année paresseuse, à me laisser porter par le temps qui passait. De bons moments, des erreurs aussi, mais au bout d’un an, un premier bilan.

Des activités saisonnières, des activités de vieux, si j’en crois mes enfants. Dans une ville de vieux. Dessin, lecture, jardinage, plage, cuisine, ce genre de choses.

Et puis j’ai décidé de prendre le temps à l’envers.

Sortir en ville, chercher à casser la routine installée. Vivre une autre vie. Cinéma, virées ici ou là, encore insatisfaisant, comme une fuite.

Alors, un petit tour chez les verts, un contact sur le net, une proposition, un doigt dans une association et me voilà à envisager l’achat d’un agenda. Réunions de travail, réunions publiques, rencontres avec la presse, avec des politiques, planification. Au début, on y prend goût. Et puis il faut assurer, les rendez-vous, l’écriture d’articles, les recherches documentaires. Un vrai boulot.

Tout cela dans des collectifs qui défendent l’environnement, et plus encore. Impossible de passer par un autre biais, le système politique est complètement fermé ici. La droite ou l’extrème-droite, mais surtout derrière, la Mafia. La vraie, pas une pègre sympathique à la marseillaise. Curieux, d’ailleurs, autour d’une table, de parler de famille, de citer des noms, des entreprises lièes à tel ou tel. Pizzorno, Rinaldi, Barbero, des noms qui font la loi, plus que les politiques. Des vitrines, le Clos des Roses, le Clos Sainte Roseline. Et puis tiens, un maire ancien ingénieur en BTP accouplé à un promoteur immobilier, c’est comme dans un film.

Dernièrement, à chercher à comprendre pourquoi un projet de ligne à grande vitesse pharaonique allait traverser la région, j’ai pris le temps d’éplucher le budget de la région. Impressionnant. Une région endettée, sans le sou, qui veut se payer une LGV à seize milliards d’euros. Mais qui a dû en emprunter 52 millions en janvier, remboursables au terme de onze ans. Et ça coûtera 23 millions en intérêts. Ah oui, en 2023, il faudra trouver les 52 millions à rembourser. Comment ? Un emprunt y pourvoiera sûrement. Tout cela pour enrichir Bouygue, Vinci et Eiffage. Et la Mafia.

Donc envie de continuer à creuser là dedans, pour voir.

Quelques instants dans le ciel et puis s’en vont. Les avions laissent leurs traces qui se croisent, se déforment, se délitent.
Le lampadaire immuable s’incline. Peut-être rêve-t-il d’autres horizons, ancré à son trottoir, à la tempête qui l’arrachera à la côte.

Ma vie de retraité est finalement très différente de celle que j’imaginais encore actif. Il y a des activités saisonnières, la plage, le fare niente l’été, le jardinage, les randonnées au printemps, comme en automne d’ailleurs. Et puis l’hiver, du dessin, et même un peu d’écriture. Sans illusion, bien sûr. Écrire, c’était une part de mon métier d’avant, tel que je le pratiquais avec mes élèves, part qui me manquait. Dessiner, griffonner un peu partout, tout le temps, ceux qui m’ont connu s’en rappellent sans doute, je n’ai pas changé. Des voyages, pas tant que cela, mais ça viendra. Et puis la lecture, les sorties culturelles, la photo.

Des activités de retraité, finalement. Ces jours-ci, grand nettoyage de printemps, lavage des tapis de la maison. Il fallait profiter du vent sec, du Mistral. Beaucoup de tapis, marocains, kazak, baloutche, chinois, afghans. Meubles faciles à déménager, chaleureux l’hiver, pour une vie au ras du sol. Pour une vie nomade. Il nous faudra bientôt repartir.

Et puis des activités qui s’invitent dans ma vie. Courir dans la forêt, à la Réunion comme ici, quelques kilomètres plusieurs fois par semaine, juste pour le plaisir en est une. Partager les albums photo de la famille en est une autre. Au départ, juste l’idée de numériser les photos de mon père et de mon grand-père, pour y avoir accès, pour les partager avec la famille, qui s’est dispersée avec le temps. Pas très difficile, c’est le scanner qui fait à peu près tout, mais sur la durée, plusieurs semaines. Moi, je n’ai qu’à nommer les fichiers, identifier et dater les photos. Cela peut être facile ou nom.

Maroc, 1939, dans le Haut-Atlas, du côté du Michliffen

Et la succession, l’accumulation d’images s’est mis à me raconter une histoire. J’ai toujours connu mes grands parents vieux, bien plus vieux que moi. Et là, je les ai vu vivre, jeunes, une vie insouciante, heureuse. J’ai retrouvé des noms entendus enfants. Et puis des fêlures, des drames aussi, qui sont ressortis entre les images, d’un détail, d’une photo, d’une lettre. Il faudra que je l’écrive, ça aussi.

La foule sur les plages, ce dimanche de janvier tout en douceur, pas vraiment. Quelques couples venus profiter du calme, un trio qui rit sur le sable. Un cerf volant est posé sur l’air, molasson. C’est le père qui joue pendant que les enfants creusent le sable. 

Dans le port voisin, un pêcheur anime les conversations, alors qu’il range son filet. Il y aurait encore du poisson ? Quelques petits merlans, il dit, pas une journée extraordinaire. Mais une belle tache de jaune sur le vert des pins parasols.

Un vent qui fait se déplacer les montagnes, qui souffle à rapprocher l’horizon. Cette fin d’après-midi, la ligne de crête était juste au-dessus de la mer, et Port-Fréjus côtoyait Saint Raphael. Un vent qui réveille un incendie d’hiver également, pas de pluie, ou si peu,  depuis des semaines.

Les minarets, le dôme de la basilique, dominent les vieux toits de tuiles. Les immeubles organisent le courant d’air qui emporte tout. Attention aux chutes de tuiles, de verrières, de pots de fleurs dans les rues.

Hiver étrange que cet hiver 2012, qui commence comme un printemps. Après-midi tee-shirt sur la plage aujourd’hui. Et ce soir, de retour de la ville ce soir, soleil couchant plein de douceur sur la baie de Fréjus. Il vaut bien un coucher de soleil tropical, non?