Retour sur le passé

Après avoir passé du temps sur les correspondances de mes grands-parents ardéchois, je suis allé à la recherche des paysages qui les ont façonnés. Ils étaient de la ville, Vals, petit bourg vivant du ver à soie et des curistes, Privas, la préfecture, avec ses rues, ses places, ses châtaignes. J’ai choisi les villages aux rues étroites, les calades, les plateaux déserts.

On y saisit tout ce qui fit la rigueur de leur jeunesse, la nature rugueuse et l’histoire sanglante de cette terre marquée par les guerres de religion. Les curés quasi illettrés qui remplissaient les registres après que les pasteurs eurent été chassés. De cette histoire, il n’en reste rien aujourd’hui, sinon des croix et des chapelles partout. Et quelques ruines dans les hauteurs, telles ces habitations troglodytes au-dessus de Privas, refuges pour les protestants privadois.

Je n’ai pas trouvé ce que j’étais venu y chercher, mais j’en suis revenu plus riche de ce passé. En particulier celui de Marie Durand, d’une famille protestante, embastillée à l’âge de dix-huit ans à Aigues-Mortes, dans la tour de Constance, d’où elle sortira trente-huit ans plus tard pour venir finir ses jours dans la maison familiale, sur le plateau ardéchois. La maison est belle, site classé et musée du Vivarais protestant aujourd’hui.

A sa mort, à soixante-cinq ans, elle laissera outre la maison, une paillasse et trois coffres. Son mari a disparu, son frère a été pendu à trente ans à Montpellier.

Ce pays cimetière rural est bien calme.

Objectif Mathusalem

Notre rapport au temps est étrange.

Une année, cela peut paraître objectif, une révolution de la Terre autour du Soleil. Et pourtant.

En 1959, l’année 1960 me semblait un horizon terriblement lointain, un mirage qui tardait à venir. Quinze ans plus tard, c’est une autre étape qui s’est fait attendre. Vingt-et-un ans, c’était là aussi objectif. C’était synonyme de majorité, de liberté. Un âge fixé par la société.

D’autres dates se sont succédées, de plus en plus rapidement, 1983, 1993, 2003, 2013. Elles ne tenaient qu’au nombre de doigts de l’espèce humaine. En aurions nous eu six, ou quatre à chaque main que le moment aurait changé.

Aujourd’hui 2023. Il me reste à trouver un horizon, aussi lointain que possible. Mathusalem m’ira très bien.

Le mois d’août 72

Nel mezzo del cammin di nostra vita…

Non, je n’aurai pas la prétention d’écrire cela, d’abord par respect pour la langue du grand Dante, qui a inventé l’italien en 1300 et quelques. Et puis, un simple calcul mathématique me le rappelle, j’ai bien avancé sur le chemin de la vie et largement dépassé la moitié de mon chemin. Je me projette toujours vers l’avant, mais il m’arrive de regarder en arrière.

En ce moment, j’écoute la balade du mois d’août 75. Le récit d’un été dessiné à petites touches, une succession de moments minuscules, une période de plénitude mais aussi de rupture. Si j’avais écrit ma balade, ça aurait été celle du mois d’aout 73.

C’était la campagne, pas très loin de la plage, il faisait bon et les criquets chantaient. On parlait sous les étoiles , les dalles étaient chaudes. Il y avait un garçon qui se croyait poète, une guitare qui trainait, et des filles qui riaient. On parlait de rien d’autre que de nous, du monde qui nous attendait. Il y avait cette maison blanche, et les oliviers alentours. On avait un rolleiflex, on a fait des photos dans les restanques, à la tombée de la nuit. Nous étions insouciants.

On n’a pas su s’en servir de cette caméra, et de photos, il ne reste que des souvenirs…

Alasora

Alasora est une commune rurale proche d’Antananarivo.

C’est l’une des douze collines sacrées de la ville. La plus ancienne, puisque, selon la tradition, elle aurait été fondée au seizième siècle par un certain Rangita. C’est donc le berceau de la culture merina, celle qui domine Madagascar depuis deux siècles.

De tout cela, il reste peu de choses, des traditions, un tombeau bien entretenu et quelques murs séculaires de terre crue, dans lesquels les habitants d’aujourd’hui on creusé des ouvertures. Et des rizières en terrasse qui façonnent le paysage.

Le village doit aussi sa notoriété aux potiers qui travaillent à l’ancienne, sans tour ni outils. Ils utilisent la terre des rizières et leur four traditionnel fonctionne à la paille et au bois. Les hommes préparent l’argile et le bois, les femmes façonnent les pots, et cela de génération en génération.

Aujourd’hui le village d’Alasora est entouré de riches propriétés qui grignotent cette vie rurale immuable. Il ne faudra que quelques années à Tana pour l’absorber.

Il faudrait que je me souvienne

Il y a trois ans, marcher dix minutes était une souffrance…

Il faudrait que je me souvienne, tous les symptômes étaient présents, fatigue, perte de poids, perte d’équilibre, suées nocturnes, toux. Je n’en savais rien, mais ce regard de K. qui m’a croisé a l’aéroport, ce calvaire d’un voyage en voiture jusqu’à Rennes…

Il faudrait que je me souvienne, les soignants. L’hématologue que j’ai cru timide. Il tournait autour du mot, mais quand il l’a prononcé, c’était pour en ajouter d’étranges, agressif, stade quatre, traitement, chance… Il y a eu d’autres soignants, attentionnés, j’ai oublié leurs noms, sauf Stella, un médecin, et Nora, une infirmière.

Il faudrait que je me souvienne des malades, ceux qui étaient perdus, ceux qui étaient là depuis des années, des hommes, des femmes, un adolescent, des vieillards, les habitués, les novices. Sorti de soin, aller vomir, me vider les intestins, et puis délirer, dormir…

Il faudrait que je me souvienne des amies, toutes celles qui m’ont soutenu, porté pendant ces mois de chimiothérapie. Celles que j’ai vues comme celles qui sont restées en retrait. Et puis les autres, celle qui s’est crue directrice à ma place, celle qui a dit On ne le reverra plus

Trois ans ont passé. Les effets de la chimiothérapie ont été terribles. Aujourd’hui encore, j’en perçois des réminiscences, comme des lambeaux de brume accrochés à une colline. Moins qu’hier heureusement.

Tout à l’heure, j’ai couru une petite heure, neuf kilomètres. Du temps qu’il nous reste, il ne faut pas en perdre un instant.

Petite promenade en ville

Il fait beau et chaud, aujourd’hui, il est midi. Sur un mur de briques, la silhouette s’étire, les ballons l’emportent loin de son quotidien. Moi, j’allais me promener du côté d’Antaninarenina.

Comme d’habitude, on m’a proposé de la vanille, du poivre, du poivre sauvage, des litchis, de la vanille, des girolles, des pamplemousses roses, de la vanille encore, des palmiers, des citrons, des pierres, brutes ou taillées, en direct d’Antsirabe qu’il me dit, toujours de la vanille…

Antaninanerina, c’est un quartier de touristes, hôtels, restaurants, bijoutiers,…

J’ai aussi croisé des chiens écrasés par la chaleur, des familles migrantes installées sur le trottoir, des enfants qui quémandent, de jeunes mamans qui mettent leur bébé en avant, pour du lait, des médicaments, une altercation, un rasta qui se battait avec un jeune malgache, attirant le regard des passants, des taxis à l’affut, attendant le client…

La misère de tous les jours.

J’étais allé chercher des bananes, je n’en ai pas trouvé.

Saison des pluies

C’est l’été. Il a fait chaud. Chaud et orageux, éclairs, tonnerre et trombes d’eau en fin d’après midi. Et son lot de coupures de courant. Un temps agréable et angoissant. 

Depuis quelques jours, le temps a changé. Un temps bien établi. Crachin, pluies faibles, pluies modérées et averses alternent, sous un ciel gris lumineux à gris plombé. Un cyclone s’éternise dans le nord-ouest de l’île, avec son lot de calamités.

Cette nuit, encore une coupure de courant. Ce sont les onduleurs de la box qui bipent et nous réveillent. Dehors, pluie fine. Ce matin, l’eau crachote au lavabo, explose. De l’eau rouge, chargée en boue, comme après chaque coupure.

Plus de courant, plus d’eau. On s’habitue. Mais quand même. Brosse à dent à la main, j’hésite. Je me dis qu’on a plus de chance que les habitants de la région de Majanga.

Myope !

Être myope, c’était une bénédiction.

Je me rappelle le printemps 1968. Nous étions sur le sable, certains jouaient au ballon dans l’eau. C’était à L’Aygade. Je me souviens de ma peau bronzée, des cristaux de sel, des grains dorés qui scintillaient. Le sable chargé en mica descendait alors des Maures. Ce n’était pas encore ce sable grisâtre arrivé en camions.

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Elle aimait m’arracher les lambeaux de peau morte dans le dos, tout doucement. Nous parlions de choses et d’autre, de livres ou de musique. J’ai oublié son nom. Nous étions insouciants. Les autres jouaient au ballon, à quelques mètres, les pieds dans l’eau. ils étaient flous, nous étions seuls.

Aujourd’hui, je ne porte plus de lunettes, mais j’ai perdu la précision de mon regard.

Derrière la lumière

La vie est douce à Madagascar, le climat agréable, la nature splendide et généreuse. Mais…

Je marche beaucoup dans la ville, par les rues comme par les escaliers qui relient les quartiers entre eux. C’est une ville de collines que je parcours à pieds ou en taxi. Je suis souvent le seul blanc dans une foule colorée. Le moindre recoin, la moindre porte est occupée de petits commerces informels, cigarette à l’unité, recharge téléphonique, beignets, fruits et légumes, vin en vrac, viande de boeuf ou petits poissons séchés, tous les ressources possibles pour survivre sont là, à même le sol ou sur des planches ou des cartons, tous ces commerces qu’on trouve dans une grande ville, et même les plus improbables. C’est pauvre, mais c’est joyeux, c’est vivant, c’est plein d’éclats de voix, d’éclats de rire, c’est coloré, lumineux.

Mais il y a des ombres, de plus en plus d’ombres dans cette ville. Des formes qui dorment sous des couvertures grises, des femmes, des bébés, à même le sol, des vieillards également. Il faut les croiser, les dépasser, ne pas s’arrêter. Un enfant qui joue, avec un bout de plastique et un peu de sable, avec un pot de yaourt l’eau d’un caniveau. Ils sont si nombreux. Je pense à ce bébé, dans un carton, comme dans un parc. Cette jeune fille qui pleurait à gros sanglots, ces familles sous l’orage, un plastique en guise de toit.

Antananarivo

Le Caire, c’était une ruche, bruyante, poussiéreuse, bordélique, une mégalopole ouverte 24/24. Toute en lumière la nuit. Il fallait attendre le vendredi matin pour qu’elle se calme.

Antananarivo, c’est la ville à la campagne. On se lève tôt, on se couche tôt également. Pas comme au Caire pour aller à la mosquée. C’est juste le rythme de la campagne, levé avec le soleil, couché avec le jour. Ça coûte, la lumière à la maison, et puis la nuit est noire à Tana. Peu ou pas d’éclairage public.

Antananarivo, en malgache, c’est « là où est le village des mille », les mille guerriers qui protégeaient le roi. Tanana, le village, avec l’accent tonique Tana. Il y a des noms très longs ici, mais qui sont souvent raccourcis en un noyau.

Tana, ce sont deux villes. la première vivant le jour, agréable, souvent affairée. La vie y est dure. Pousser, tirer, porter, c’est le lot de beaucoup. Mais elle disparaît en fin de journée. Il y a la peur du noir, des sorciers, mais aussi des voleurs, des bandits. C’est écrit sur les murs. Car la nuit, c’est la ville des ombres, celles qu’on croise quelquefois le jour, mendiants, handicapés, familles nombreuses vivant sur un coin de trottoir. Leur logement c’est un carton, le linge est lavé dans le caniveau, le corps aussi.

Et puis il y a une autres ville, que je ne vois pas, celle des « expats », des vazaha, des ONG, des experts en tout. Ils vivent ailleurs…