Une photographie (2)

J’appartiens à une génération où la guerre était encore présente. Mes instituteurs avaient bien sûr été résistants, les hommes politiques, les journalistes, les diplomates, les dirigeants d’entreprise, tous avaient leur diplôme de bonne conduite pendant l’occupation. La France du Général de Gaulle avait massivement résisté à l’envahisseur.

Et rituellement, tous les ans, la commémoration de l’appel du 18 juin venait nous le rappeler. Avec en point d’orgue, la célébration du courage, du patriotisme des hommes de l’île de Sein, tous volontaires pour rejoindre Londres.

Et tout aussi rituellement, mon père riait, parlait de mensonge. Du mensonge sur le ralliement de tous ces hommes. Il racontait l’histoire du commandement militaire des îles du Ponant, qui avait mobilisé les hommes et les avait embarqué d’autorité pour Londres.

Le bateau qui embarquait les groisillons aurait été torpillé devant Lorient. Et le commandant de celui qui transportait les bellilois aurait décidé de rejoindre le Maroc plutôt que l’Angleterre, pour y rejoindre sa famille.

Ça, bien sûr, c’est l’histoire de la photo, le pourquoi de la présence des deux frères à Casablanca, en août 40. Restent malgré tout ces propos, que j’attribuais à son anti-gaullisme. C’était tellement en opposition avec la doxa de l’époque, l’héroisme des îliens bretons, impossible à nier.

Et pourtant, en cherchant, j’ai trouvé. Le nom du bateau, le San Pedro. Le récit d’un écclésiastique, et surtout un carnet de voyage, celui d’un soldat français, embarqué sur le bateau à Cherbourg, qui parle de l’embarquement des bellilois, et des circonstances de ce voyage au Maroc. un petit carnet rouge.

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Cela n’enlève rien au courage de ces Sénans de la France libre, mais rappelle juste que les circonstances sont souvent plus fortes que les hommes. Voilà ce que j’ai pu reconstituer cette aventure qui a amené les deux frères au Maroc…