Qu’est-ce que je vais leur dire cette fois-ci ?

Un message, envoyé en réponse à des réactions, des questions posées. questions auxquelles il est difficile de répondre brièvement.
Salut

Je vais répondre à Philippe. En métropole vous formez de grands hommes, dis-tu. Ici, on est vite un grand homme. Il suffit quelquefois d’un bien mince talent pour le devenir. Imaginez ce dialogue, au téléphone :

(l’inspectrice) : monsieur Le Berre, vous venez du Morbihan, il y a des classes bilingues là-bas, vous connaissez les problèmes que cela pose ?
– (moi) : ben…
– (l’inspectrice) : Et vous avez une formation en FLE (français langue étrangère).
– (moi) : oui, deux semaines de stage…
– (l’inspectrice) : C’est parfait, vous irez dans un groupe de recherche qui doit produire un manuel d’apprentissage du Shibushi à destination des enseignants métropolitains. Monsieur Le Berre, au revoir.
– (moi) : …

On aurait aimé avoir des linguistes, des profs de fac, mais bon, on est deux maîtres formateurs, deux profs mahorais et deux instituteurs territoriaux, chapeautés par un lointain responsable. Les profs et les instits sont les locuteurs et nous on doit mettre en forme. C’est compliqué (trop pour nous) mais passionnant. A travers la langue shibushi (le parler malgache de Mayotte, 40% de la population quand même), on devine les rapports qui régissent les hommes (et les femmes).

Et puis on en arrive à poser (nous les mf métropoliatains) des questions qu’ils (les mahorais) évitent de se poser. L’image de la société mahoraise que j’en retiens, c’est celle d’une société complexe, figée et en pleine révolution. C’est contradictoire ? Pas ici.

Quelqu’un m’a décrit, l’ai-je déjà dit, la société mahoraise comme une société tiraillée entre trois idéaux, l’idéal africain, l’idéal arabo-islamique et l’idéal laïque et démocratique qui est (???) le notre.
Il y a les lois françaises, celles que l’on connait, et les personnes qui font la loi, élus, fonctionnaires, juges. Il y a les lois islamiques, avec ses hommes, le naïb cadi du village, le cadi et le grand cadi, celui qui dit les jours fériés, à Mamoudzou. Et puis il y a la coutume.

Quand on n’est pas satisfait de la loi islamique, on peut passer à la loi française. Un divorce est plus cher (en terme de pension alimentaire) avec la loi française, mais c’est beaucoup plus long si on passe devant le cadi(sept huit ans). Par contre, on n’a droit qu’à une femme devant monsieur le maire. Pour en avoir plus d’une, il faut rester soumis aux lois islamiques, c’est à dire se marier devant le cadi. Les cadis sont des fonctionnaires territoriaux.
Les immams et les mouiddines (muezzin) sont des bénévoles, choisis par la communauté. De même que le foundi lislamou et le foundi courouani (moi je suis le foundi licoli ). Ajoutons-y le cheik qui est une sorte de chef du village, gardien des lois coutumières.

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’tite sieste

Les enfants vont à l’école coranique le matin avant d’aller à l’école de la république. Contrairement à ce qu’en disent beaucoup, ils en retirent quelque chose, l’arabe, le coran, bien sûr, mais surtout une mémoire phénoménale. Et une grosse fatigue. Ils ne sont pas rare à dormir à l’école.

Bénévoles donc, mais en échange, il y a un système de corvées très lié au système de castes africain : il y a parmi les mahorais des guerriers, appelés kabayla, les charifs, qui sont descendants du prophète et des esclaves, les waronna. Et ces gens se reconnaissent comme tels et ne se mélangent pas. Un mouronna (singulier) ne sera jamais foundi courouani, encore moins cadi, il n’épousera pas une fille de guerrier.
Mais tout cela ne se dit pas, on l’a appris après des heures d’entretien, comme en dévidant une pelote de fil…

En pleine révolution aussi, parce qu’il y a des waronna qui ont réussi leurs études et qui reviennent à Mayotte avec du pouvoir, celui des fonctionnaires, et cela, tout comme les lois françaises, destabilise une société qui était figée. Ici, à Tsimkoura, on parle shimaore, à côté, à Chirongui, on parle shibushi et à Mirereni, un peu plus loin, on parle anjouannais. Et tout Mayotte était comme ça, cloisonnée. Mais tout se mélange depuis quelques années. Il n’est pas sûr que Mayotte reste le paradis qu’elle a été et qu’elle est encore un peu, surtout dans le sud arriéré.
Il y a des prémices de violences sociales.
J’ai été long mais je ne reste frustré, il y en aurait tant à dire…

Si, pour conclure, une nouvelle méthode d’apprentissage du français langue étrangère qui innove ! Je l’ai trouvé qui volait dans la cour d’une école. Une feuille de papier déchirée. L’élève apprendra-t-il jamais le français, et quel plaisir y trouvera-t-il ? Je n’ai pas réussi à savoir dans quelle classe il était…

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Une punition débile

Ai-je répondu à ta question, zama Jos ? (* oncle joseph en shibushi)
A la semaine prochaine