Quand le ciel rencontre la mer…
Catégorie : Des bouts de vie
Soldes
Les quarante vierges et le mécréant
L’autre jour, celui de la fin du monde, le Mythe, mon pote de facebook, s’inquiétait de savoir s’il aurait bien ses quarante vierges, au paradis de ses pères…
Un truc qui m’a toujours amusé. Sont-ce des vierges spécialement conçues par son Dieu à son intention, ou bien simplement des défuntes recyclées après qu’elles aient été rafistolées. La question n’est pas anodine, quand on connaît la répartition homme-femme sur notre terre. Il faut compter environ cinquante pour cent de femmes pour autant d’hommes.
Et puis, pour ces dames, Dieu a-t-il pensé à une quarantaine de puceaux? L’équivalent des vierges, somme toute. Mais ce ne serait peut-être pas équitable, au bout du compte. Enfin, je n’en sais rien.
Je me souviens juste de mon collègue. On l’appelait Chevronné. Un instituteur polygame, un Mahorais. Un homme juste, sympathique, craignant Dieu. Je me rappelle sa façon de baisser la voix, levant les yeux au ciel, quand il parlait de ses frasques de jeunesse…
A l’entendre, à écouter les problèmes qui l’envahissaient, la polygamie institutionnalisée n’avait rien d’un fleuve tranquille. Et puis un jour, il nous a tous fait rire. Il avait trois femmes, le bougre, envahissantes, mais il tenait pourtant à en épouser une quatrième. Qui restait à trouver. Pour assurer son existence au paradis, nous a-t-il confié, pour ne pas rester seul jusqu’à la fin des temps. Parce qu’il n’y croyait pas, lui, aux quarante vierges promises. Parce qu’il croyait qu’il ne vivrait là-haut qu’au côté de la femme qu’il aurait connue vierge…
Or ses trois premières épouses ne l’étaient pas. Il lui fallait donc trouver une quatrième épouse, vierge cette fois, pour éviter la solitude éternelle. C’est à ce moment là que Bouba a parlé de sa soeur, une vieille fille d’une cinquantaine d’années dont il garantissait tant la virginité que la laideur rassurante. Manifestement, à voir la mine navrée de Chevronné, la vierge ne lui convenait guère.
S’il me lit, il en rira encore, Chevronné. Et surtout pas de quiproquo, le mécréant c’est moi.
Jeudi matin
Nénufar d’automne
en lané 1811
Ce soir, où que se porte mon regard, je vois des murs, une maison, je ne dirais pas sans âme, j’y habite, mais sans passé, tout au plus un demi-siècle. Une famille y a vécu, l’été. C’est tout. Elle sera détruite, dans un an, dans deux ans. Tout y est en sursis. Une maison morte avant d’avoir vécu. Il n’en restera rien.
Contraste avec cette semaine passée dans la Vosge. Une maison de grès, une maison paysanne. Sur le linteau, cette inscription : « en lané 1811« .
Penser qu’une maison puisse avoir cet âge, qu’elle puisse être habitée, que j’y ai dormi… Combien de vies, combien de rires, de drames, combien d’amour s’y ont déroulés. Elle a survécu aux guerres de Napoléon, à la guerre de 1870, celle de 14 et celle de 39, et elle est toujours là.
Ces lieux habités, ces traces d’un passé révolu me fascinent, me racontent des histoires. Ces murs ont vibré aux bruits de vies qu’ils ont abritées. Est-ce que j’aurais pu être medium dans une autre vie ?
C’est un village assez hors du temps, c’est vrai. Et c’est le hasard qui m’a conduit ici. C’est sûrement un pays de sortilèges, de sorcières et de guérisseurs. Quand j’écris, ce matin-là, du bruit, dehors, un voisin qui fend du bois pour l’hiver. Toutes les maisons ont toutes un de leurs murs couvert de bûches, stock de bois de chauffage. A Ronan, on a dit quatre mois de neige et de verglas, au minimum…
J’aimerais que ce village me retienne, que la voiture refuse de repartir, village d’un autre temps. Même pas peur. La proprio habite en face de la maison, elle est née à cinquante mètres d’ici, a vécu dans la maison du virage, un peu plus haut sur la côte. Sa famille a bâti la chapelle. Son père, son grand-père sont d’ici… Sorcière? Gentille en tout cas, souriante.
La ville
La Vosge, les Vosges, c’est aussi la région Lorraine.
Petite sortie à Nancy donc, pour vérifier que la place Stanislas est toujours une des plus belles place européenne. Une goutte métallique le confirme, le soleil aussi. Ville jeune, aimable.
La Vosges, c’est aussi Epinal, bourgade qui s’allonge le long de la Moselle. Tranquille. Image d’Epinal, bien sûr.
La Vosge c’est aussi pour nous une séparation, une dernière virée en famille. Derrière une fenêtre, bientôt plus loin. On ramène le chat dans le sud.
La Ministre
Le pont des fées, c’est aussi une table d’hôte, dans une vieille ferme. Le patron, comment dire, original, une sorte de fin baba cool immensément barbu, sorti d’un film de Jarmush, cheveux grisonnant, pantalon noir et veste pied de poule cintrée, galurin sur la tête. On entre, il fait la bise, et nous conduit, la main sur l’épaule, jusqu’à notre table. Dix euros de bonnes choses, et les dents du fond qui baignent.
Il n’est pas seul. Sur la route de l’étang Lallemand, une pancarte, « atelier de fabrication de yourte », des chevaux, un sculpteur sur bois.
Plus tard dans l’après-midi
Assis – devrais-je dire assoupi – sur un banc ombragé, le téléphone sonne…
« Bonjour Michel Le Berre, c’est Delphine Batho.
– Euh, oui…
– Delphine Batho, la ministre de l’écologie!
– Aaaah… Bonjour Madame la Ministre… »
Il y a des conversations qui réveillent.
Pas si calme, ce coin.
Encore plus tard, promenade dans le bas de la vallée, le long du canal des Vosges, encore en activité. Un ancien site industriel. Des corons, une ancienne filature. Plus de toit, juste des murs nus, une inscription, Etablissement Jules Dorget. La Forge de Thunimon. Des activités anciennes, forges, filatures, verreries, minoterie, il ne reste que les noms de lieu. Et un peu de tourisme fluvial sur le canal pour animer les écluses.
The neighbourhood of The Hill
Un matin, il y a bien longtemps, du temps que le monde était encore calme, qu’il y avait moins de bruit et davantage de verdure et que les hobbits étaient encore nombreux et prospères, Bilbo Baggins se tenait debout à sa porte après le petit déjeuner, en train de fumer une énorme et longue pipe de bois qui descendait presque jusqu’à ses pieds laineux (et brossés avec soin). Par quelque curieux hasard, vint à passer Gandalf.
C’est ainsi que commence l’histoire de Bilbo le Hobbit. On nous dit qu’il adorait les cartes, et que dans son vestibule en était suspendue une grande représentant tout le Pays d’Alentours, sur laquelle étaient tracées en jaune toutes ses promenades favorites.
Rien ne me fait plus penser à ce Pays d’Alentours que cette région de la Vosge où je traîne mes pieds ces jours-ci. Les noms, sur la carte, magiques, les forges de Thunimon, le bois de la Michotte, la basse des Orges, le Ban St Pierre, le Grand Bois, le Chaudiron, le Pas d’âne, la Tranchée, le Pont des Fées, la Grande Chicotte, Les Trois Fontaines, la Chapelle aux bois, les foins Martin,…
Toute une toponymie étrange… Des visages, aux fenêtres, on ne passe pas inaperçu, les yeux nous suivent, inquisiteurs. A un carrefour, une curieuse croix tressée, un calvaire, un lutin d’osier, aux aguets, comme un insecte prêt à s’envoler, la Croix de l’Enfant Rollot…
C’est sûrement un pays de sortilèges, de sorcières et de guérisseurs. Dans l’air, du bruit, un voisin qui fend du bois pour l’hiver, une vache qui meugle au loin, un oiseau. Toutes les maisons ont un de leurs murs doublé de bûches, stock de bois de chauffage pour l’hiver. A Ronan, on a dit quatre mois de neige et de verglas, au minimum…
La Vosge
Debout dans le silence ce matin juste un corbeau et un ciel gris uniforme.
Je peux confirmer, c’est très calme.
Petit couple de propriétaires très laids mais si gentils. Le monsieur ressemble à un Popeye très velu ! Il s’étonne que la jeune fille qui faisait du stop sur le bord de la route n’ait pas voulu monter dans sa Kangoo. Il rit.
Il y a plein de chats dans le hameau, Ménabé ose à peine sortir du gîte.
Il y a aussi un magnifique cheval blanc. Mais je ne sais pas parler aux chevaux. Enfin, celui-ci a quand même un côté féminin qui n’est pas pour me déplaire… Bien vu, miss.
L’après-midi, visite au bourg voisin, ville thermale suintant d’ennui, bâtiments massifs, style militaire, commerces à vendre, maisons fermées. Quelques vieilles très vieilles, s’appuient sur d’autres vieilles moins vieilles, dans le parc des Thermes. Animation sur la place de la mairie, une course cycliste, un orchestre, quelques objets de bois sculptés, de la bière en gobelet, quatre jeunes qui passent, look seventies agité. C’est la folie qui traverse le silence.
Curieuse manie chez certains de ranger leurs outils sur la façade de leur maison, déco très personnelle dont je ne sais que penser. Et puis, ne pas toucher, chien très méchant annonce une pancarte.