Une histoire de famille (2)

Là-bas, à Ifrane, la famille s’agrandit, trois filles. La vie y est douce, sportive, insouciante. Randonnées, piscine, tennis, promenades à vélo l’été, ski l’hiver, sorties avec les amis… Une vie d’expatriés, européenne, le Maroc et ses habitants en simple arrière-plan.

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Sur certaines photos, un visage raturé, caché, aboli à coup de stylo rageur. Visage de femme, toujours la même. Je me souviens d’un mot de ma mère, à propos d’une amie de Georges. Était-ce elle, celle que ma grand-mère n’aimait pas voir près de son mari. Je la vois, Yvonne, jalouse, parcourant les images de son passé, effaçant d’un geste sec les traits de celle qui avait troublé sa vie. Et puis elle souriait, une pensée revancharde la traversait. « Qu’elle aille se faire foutre ! »… Son expression favorite.

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L’été, il y a la traversée pour la France, le retour vers la famille. L’été 1938 est particulier, pour moi. Il y a des photos de vacances dans un paysage qui m’est familier. La Côte d’Azur, Cavalaire, les plages de mon enfance apparaissent. Et deux familles réunies, heureuses, le frère et la soeur réunis. Ils ne savent pas qu’ils ne se verront plus. La guerre reviendra quelques mois plus tard, la même qui avait emporté leur père, un jour de septembre 1914 emportera le frère, quelque part dans la Somme. Parmi les photos, il y a la lettre porteuse de la nouvelle. Lettre qui fait écho à d’autres. L’encre y est tachée de larmes.

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Au Maroc, ils sont descendus de la montagne, en garnison dans le désert aujourd’hui algérien, Béchar. Mais la guerre est toujours là, bruyante. Mon grand-père rejoint la 2ème DB, débarque en Normandie, participe à la libération de Paris, de Strasbourg, et à la campagne d’Allemagne, jusqu’à Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler. Il refusera toujours d’en parler à ses petits enfants. Sa seule réponse à nos questions, la guerre, ça n’est pas beau à voir, les gens y sont laids, et l’odeur, surtout l’odeur, ça ne l’oublie pas.

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