Quelques nouvelles du tribunal de Saint Pierre

Je ne vais rien dire du quotidien judiciaire local, qui n’est pas sans intérêt par ailleurs. On y va de l’ignoble, la mère de 77 ans violée par son fils, au plus léger, vente de photos nue d’une certaine Miss, le tout baignant généralement dans une misère sociale et une alcoolisation prononcée.
Non, pas de victime découpée au sabre, ni tuée à coup de bâton, juste un bout de vie du tribunal de grande instance de Saint-Pierre, jeudi matin.

On y entre maintenant sous un portique, sacs fouillés, monnaie et clés dans une boîte. Oublié le côté bon enfant de ma précédente visite, début octobre.
Dans le couloir, sur un banc, un mahorais, timide comme souvent, attend.
Il attend depuis huit heures une signature sur son certificat de nationalité. Le greffier doit arriver à onze heure me dit-il. On m’avait annoncé qu’il serait là à dix heures trente, dans un quart d’heure.

Sur le banc, devant nous, une jeune malbare et celle qui doit être son avocate. Il semble qu’elles soient là pour la levée d’une mesure de rétention, peut-être pour son homme? Elle sort un peu plus tard du bureau du juge, pas contente à entendre les éclats de voix. Le couple suivant passe, une jeune avocate chinoise, en robe cette fois-ci, et sa cliente.

Des secrétaires passent, discutent, se font la bise. On m’a déjà demandé ce que je voulais.

J’ai expliqué, ma demande de certificat de nationalité qui traîne, les papiers fournis, les coups de téléphone, mais il faut attendre le chef, un monsieur à cheveux blancs.
Il arrive à onze heure et quart, un vieux, traînant un ventre qui se répand, la chemise tendue sur le bas-ventre, couperosé, couvert de croûte sur la tête. Il entre dans son bureau, mais il ne faut pas le déranger, il discute. La secrétaire me rappelle qu’elle n’est que stagiaire et qu’il faut attendre.

Dans le couloir, c’est la cohue, une quinzaine de personnes, plus toutes jeunes, sont là, à attendre le juge, papotant en créole. On commente beaucoup l’affaire du jeune de quatorze ans qui a braqué une voiture sur le parking de l’hypermarché et qui s’est tué dix minutes plus tard, dans un virage, et ça hoche la tête en marmonnant.

Voilà la juge qui sort. On la dirait tout droit venue d’un film de Chabrol, avec ses talons aiguilles et sa coiffure tirée, jupe aux genoux et tailleur stylé. Elle fait l’appel, car c’est toute une fratrie qu’elle a convoquée, onze frères et sœurs, et la mère, une toute vieille, toute droite, toute mince qu’elle accompagne dans son bureau. Là il est question de la mise sous tutelle d’une personne absente, semble-t-il. Ils ressortent un moment plus tard, tous contents.

Moi, j’attends toujours, en bougonnant de plus en plus.
Une secrétaire, la dame du 31 (c’est son bureau) me fait entrer dans le bureau du chef, le numéro 35 et me fait réciter à nouveau mon problème – vous vous rappelez, le dossier de demande de certificat de nationalité, pour partir à la retraite bientôt –
J’avais déjà raconté la même histoire à la dame du bureau 34, une heure avant.

Je n’oublie pas le chef, qui est sorti de son bureau, parti discuter avec le président du tribunal. Il est passé devant nous sans un mot.

Mais on s’occupe de moi, enfin. La dame du 31, et la dame du 34 aussi. On me fait redire mon histoire, mais mon dossier fait de la résistance, il n’est ni dans la pile des dossiers traités, ni dans la pile des dossiers faits, ni dans celle des dossiers à rectifier, ni sur le bureau. Il me faut présenter mon justificatif de dépôt de dossier, que je ne lâche plus : elle vient, devant moi, d’égarer un document qu’elle devait faire signer mais en a retrouvé un autre, perdu il y a quinze jours.

Il est bientôt midi, cela circule beaucoup dans les couloirs, avocats, juges, secrétaires, c’est l’heure du repas.
Le chef se présente enfin, s’informe, se rappelle avoir entendu parler de mon dossier, avise le mahorais et dit à sa secrétaire : “Puisque M. B…. n’est pas encore parti, donnez-moi son certificat, je vais le signer.”
Il ajoute qu’il n’y a pas de problème pour moi, tous les papiers étant déposés. Il s’en va manger lui aussi, avec le bâtonnier justement.

Et me voilà avec la dame N°31 qui découvre l’affaire et la dame N°34 qui dit avoir déposé le dossier sur le bureau du chef il y a quelques mois. Elles s’affolent un peu, retournent les bureaux, en vain.

Nous partons nous aussi manger, mais à l’autre bout de la ville. Ma visite au tribunal n’aura pas été inutile, ma requête a bien progressé : j’ai déposé une demande de certificat de nationalité qui a été traitée, puis complétée, rectifiée et égarée.

J’en suis donc à l’étape suivante, la constitution d’une nouvelle demande.